Meditating on a couple of Zanele Muholi’s photos

ZANELE MUHOLI, “Hlonipha, Cassilhaus, Chapel Hill, North Carolina,” 2016.
Somnyama Ngonyama, Hail The Dark Lioness

Elle (me) dit : sur ma tête, git ma couronne, ma chevelure afro. Ma chevelure afro qu’on a dévalorisée, je la mets en valeur avec des restes, ceux dont vous ne savez que faire, dont vous pensez pouvoir vous débarrasser à la sueur de notre front, dont vous pensez même parfois qu’ils nous tuent. Car ces ‘non recyclables’, on les met à la marge, dans les océans, dans les poubelles des dits pays en voie de développement. Moi je vous regarde dans les yeux, droite, sure : ces déchets que (et parce que) je réassigne selon mes origines et ma créativité m’élèvent. Certains y liront même une myriade de lignes, ressemblant aux fractales que dessinent les bords de mer. Les espaces sont infinis, à qui sait utiliser la matière selon sa dimension ouvrante et ascendante. Je me tiens droite, le regard planté dans vos yeux. L’arrière-plan reprend le grain de ce que je porte (mon couvre-tête, mes apparats) et s’efface derrière-eux. Les restes, vos restes, je les réassigne et un monde ainsi est laissé derrière moi : celui où vos restes, les déchets (les déchets matériels, les marginaux d’une société) n’étaient alors que des points indifférenciés. Mon corps se prolonge dans ce que vous ne pouvez plus transformer (vos restes), mais que je m’approprie et qui augmente encore ma puissance d’agir. Vous, et le monde de vos représentations, vous vous dissolvez dans cet arrière-plan. A partir de vos restes, s’est produit une excroissance, une bifurcation que vous ne pouviez prévoir. Je suis à l’avant-garde.

ZANELE MUHOLI, “Bona, Charlottesville,” 2015.
Somnyama Ngonyama, Hail The Dark Lioness

Voix1 : Je tiens un miroir dans lequel mon reflet regarde, de haut. Je me soumets à mon reflet qui me scrute et dévisage ceux qui le regardent. Il n’est pourtant que reflet mais se tient haut et droit, c’est lui qui ordonne l’image et le sujet qui le tient. Ce reflet cache ma poitrine, mes cheveux, il présente un buste dont le regard est l’élément centripète et centrifuge, et/non masculin et/non féminin, mais point neutre, un regard au-delà du genre, quoique exprimant la force, la détermination et la colère.

Voix2 : Je suis le reflet, l’image, en moi se concentre l’énergie du voir et du vu, tu es mon support. J’ai besoin de toi pour exister mais c’est moi que l’on voit : à toi de savoir ce que tu voudras montrer, cacher, exacerber. Ta marge de manœuvre t’apparaitra d’abord essentielle, tu te prendras sans doute au jeu ; créer un reflet qui deviendrait pour toi et les autres le réel et dont tu pourrais créer tous les tenants et les aboutissants est séduisant. Ce reflet t’immobilisera pourtant les bras, le corps, les genoux (entendons le “je-nous” ?), pour me soutenir. Que deviendrais-tu sans reflet à brandir, à toi et aux autres ? Comment sauras-tu ce que tu es, qui tu es, sans ce reflet, cette soi-disant mise à nu ? Tu te définiras cette fois-ci (ici) par-delà les niaiseries sociales pourtant si violentes. Ton sexe aurait défini ce que tu peux et dois accomplir ; que tu penses à la psychanalyse, aux sciences sociales, on en reviendra d’une manière ou d’une autre, quoique pour le critiquer (mais critiquer c’est encore y séjourner[1]) à cette différence originaire. Dieu a d’abord créé l’homme à son image, puis la femme selon un côté. Les mythes fondateurs ont leur importance. Ici tu te crées selon un reflet androgyne ? Tes cheveux sèment le doute que tu cultives. L’original, toi, a des cheveux longs ; moi reflet donné à voir comme central, n’en a pas.

Voix 3 : Ce reflet, moi artiste, je le dispose au centre dans une photo en noir et blanc. La peau noire est exaltée par le contraste qu’elle produit avec le blanc. Blanc/Noir, mon choix artistique reproduit, réfléchit et détourne cette opposition fondamentale. Après que dieu a d’abord crée l’homme puis la femme, le monde occidental créait la division noir/blanc. Une peau plus foncée deviendra noire, une peau plus claire blanche : par quel miracle un tel aveuglement collectif fut-il possible ? L’interface intérieure/extérieure, la peau fut désormais à vivre et comprendre selon une logique binaire du sombre et du pur : abrutissant, clivant et paranoïsant. Ma photographie en noir et blanc l’interroge. Plus précisément les rideaux qui occupent l’arrière fond de la photo et la moitié de la photo reflète cette logique pigmentaire et textuelle avec laquelle la modernité s’est mise en scène. Les draps du lit sur lequel le corps tient son reflet sont blancs : y aurait-il été conçu quelque chose de pur ? Le sommier du lit est foncé : le lit reposerait sur la lie. Mais surtout, la photographie déjoue cette apparente opposition par le jeu de lumière et d’ombre : la lumière par endroit rend la peau presque blanche, les draps se foncent aux pliures dessinées par les ombres. Plus subtilement, mais sans doute essentiellement, le teins du miroir est tacheté en son entour.


[1] Combien ne serait pas d’accord avec cette assertion, pas complètement fausse malheureusement. Une voix/e de la critique consisterait à voir ce qui est resté en réserve (?), en écho dans les chemins, tressaillements recouverts.